• Sidi Larbi Cherkaoui et le Theater Stap : l’expérience Ook

    « Ook » (« aussi ») est un spectacle de théâtre dansé résultant du travail d'atelier mené, en 2001-2002, par les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Nienke Reehorst avec 10 interprètes du Theater Stap.


     

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>A travers ce premier contact avec le handicap mental, Sidi Larbi Cherkaoui découvre le handicap des acteurs mais aussi son propre « handicap à trouver les mots justes pour se faire comprendre auprès d'eux »
                « Qui est le plus handicapé pour communiquer?
                Celui qui porte le handicap ou ceux qui le côtoient ? » demande Joël Kerouanton [p.19]
    <o:p> </o:p>Si cette communication est facilitée par une langue commune, le flamand, le chorégraphe découvre surtout une « énorme intelligence physique » chez les interprètes.
    « Verbalement c'était très compliqué [...] mais quand je leur montrais le geste, je voyais qu'ils avaient très bien compris » [p.51]
    <o:p> </o:p>Dans l'accompagnement de la compagnie vers la création de « Ook », Sidi Larbi Cherkaoui repère rapidement l'importance de la définition de la place de chacun, de la « différenciation des rôles éducatifs et artistiques »
    « Chaque fonction est nécessaire et un peu de recul sur une fonction que l'on a pas permet d'être utile à cette fonction » [p.21]
    (La collaboration entre les artistes et les éducateurs du Theater Stap n'est pas développée dans l'ouvrage de Joël Kerouanton)
    <o:p> </o:p>Le rôle des chorégraphes repose donc sur leur pratique artistique et leur technique « se révèle être un véritable contenant qui encourage les interprètes du Theater Stap à dépasser leur appréhension et à accomplir des gestes peu coutumiers » [p.46]
    Ils leur proposent, dans cet atelier, d'explorer la question « quel est ton rêve ? » et abordent cette recherche comme un « partage ».
    Ainsi, ils « acceptent que leur œuvre existe à partir de l'autre » et parviennent à « lutter contre leurs propres désirs pour laisser ceux des interprètes s'inscrire progressivement sur le plateau » [p.32]
    Ils travaillent alors à « mettre en forme l'expression de chacun [...] de façon à pouvoir communiquer au public leur savoir-être et leur savoir-faire. Le handicap devient un trait de caractère, une façon d'être qui peut être valorisée. » [p.47]
    L'auteur illustre ce propos avec quelques exemples :
    « Gert Wellens présente avec fougue ses talents spécifiques en arts martiaux et interpelle le spectateur par sa maîtrise du geste ; Nadine Van Miert, souvent repliée sur elle-même, valorise cette attitude en restant concentrée sur son jeu de mains malgré l'insistant fou rire d'une actrice à ses cotés ; Kris Huffkens possède une capacité étonnante à changer la forme de son visage et fut l'un des moteurs de la scène des grimaces grâce à sa face élastique et multi expressive ; Jan Goris marqua les répétitions par son habileté de cracheur de feu, mais ne put présenter son numéro en spectacle à cause de sa dangerosité et de la crainte des théâtres de voir un tel exercice réalisé par un acteur handicapé... Son attraction pour le feu trouva tout de même place dans « Ook » lorsque, en allumant sa cigarette, il enflamme un drapeau à l'extrémité d'un bâton pour une course de relais » [p.47]
    <o:p> </o:p>Les chorégraphes apprennent à s'adapter au rythme particulier du groupe, à prendre leur temps.
    Sidi Larbi Cherkaoui raconte qu'il a trouvé en lui « une patience que je croyais ne pas avoir ». Cette adaptation ne le rend pas pour autant moins exigeant vis-à-vis du travail artistique des interprètes.
    <o:p> </o:p>S'il observe dans cette compagnie de nombreuses qualités – la patience, la justesse, l'éthique de travail, la transparence d'émotion – il est particulièrement surpris par la générosité qui existe au sein du groupe. Chacun reçoit le soutien du collectif.
    Mais cette force pouvant aussi gommer les individualités, le chorégraphe a parfois du rappeler à certains interprètes : « Il ne faut pas que tu te laisses aller dans le groupe, tu es là aussi pour toi-même. C'est à toi de danser ! » [p.43]
    <o:p> </o:p>Pour Sidi Larbi Cherkaoui, cette expérience est l'occasion d'une remise en question de sa démarche artistique, en tant qu'interprète et chorégraphe. Elle l'interpelle aussi sur un plan plus intime, « le confronte à un certain nombre de question existentielles, notamment la question du deuil présente dans « Foi » » [p.47] (je choisi cet exemple car c'est sur cette même émotion que s'est conclu mon stage d'observation)
    <o:p> </o:p>On retrouve ce questionnement dans le regard du spectateur, Joël Kerouanton:
    « J'ai eu le temps de la représentation, la sensation de communiquer avec les interprètes. Leurs préoccupations étaient les miennes » [p.35]
    <o:p> </o:p>« Claude Chalaguier, fondateur du groupe Signes* à Lyon, chercheur en éducation et metteur en scène auprès d'adultes handicapés, observe en effet que « ces gens-là » nous ressemblent étrangement, infiniment plus que nous le croyons, infiniment plus qu'on nous l'a toujours dit [...]. Les grandes questions fondamentales de la vie, de la mort, du sexe et de l'argent, inhérentes à l'homme, sont également abordées sur le mode poétique par les handicapés mentaux et nous concernent tous [...]. Ils nous ressemblent tellement que c'est nous-mêmes que nous découvrons quand nous tentons de les découvrir. » [p.40]
    <o:p> </o:p>Parmi ces « questions fondamentales », un tableau de « Ook » aborde le tabou de l'enfantement chez les personnes handicapées mentales.
    Sur scène, « des mères bercent leur bébés » et ce mouvement à la fois tendre et grave interpelle le spectateur qui s'interroge alors sur la limite entre « la fiction du plateau et la réalité ».
    « Comment le parcours de vie des interprètes alimente le jeu et comment le jeu alimente-t-il leur parcours de vie ? » [p.30]
    <o:p> </o:p>Sidi Larbi Cherkaoui répond qu'elles « ont le droit de vivre avec ce rêve, même  s'il ne se réalise pas » et il se souvient comment cette scène est née dans l'atelier :
    «A partir du thème principal du projet artistique : Montrez-nous vos rêves ! « une interprète a commencé à bercer. Le geste était magnifique, son rêve à elle était d'avoir un enfant », se souvient le metteur en scène.
    L'idée trouvée, le geste amorcé, il s'agit de dépasser cette première expression pour donner une forme.
    Sidi Larbi Cherkaoui et Nienke Reehorst ont demandé de « montrer un rêve partagé avec un interprète » et de « mélanger le tout avec des techniques de jeu découvertes ensemble ».
    Dès lors, ils observent que « Nancy (Schellekens) est venue et a commencé à faire le son appris en atelier lorsque nous tentions de travailler sur le chant en faisant résonner les voyelles. Puis elle a montré le rêve de Cathérine (Springuel) – avoir un enfant – qui était aussi le sien. Elle avait assimilé ce qu'elle apprenait avec nous, et elle s'était rappelée du mouvement de Cathérine. La proposition était vraiment bonne, et nous avons demandé à toutes les interprètes féminines de jouer la même chose ».
    Le résultat est intéressant, les gestes explicites. Ces mères potentielles forment un véritable ballet.
    Le sujet abordé est complexe ; il est souvent tabou.
    « Quand il n'y a pas de mot, c'est là qu'on essaye de trouver des mouvements », souligne Sidi Larbi Cherkaoui.
    Il a réalisé que « la vraie actrice, c'était Ann (Dockx) : elle n'avait pas ce rêve d'enfant. Elle berçait et son geste ne la touchait pas. C'était drôle de voir Ann, qui préfère les filles, dans cette situation de jeu. Je lui disais : »OK, Ann, je comprends que ça ne te touche pas, mais essaie de penser à Cathérine, d'imaginer comment elle fait ». Elle a vraiment essayé de comprendre et a assimilé progressivement l'envie des autres. Elle est une actrice ».» [p.42-43]
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Suite à cette expérience, « Sidi Larbi Cherkaoui reconnaît la différence [...] entre son parcours et celui des interprètes du Theater Stap » et « accepte que la vision du monde de ces acteurs lui échappe radicalement ». [p.78]
    <o:p> </o:p>En proposant à Marc Wagemans de jouer dans « Foi » (puis « Tempus fugit »), il peut « poursuivre ce travail d'ouverture sur la pluralité des individus » et « ouvrir des portes dans ses recherches chorégraphiques.»[p.12]
    Néanmoins, « dans Foi, Marc Wagemans n'a ni un rôle factice, ni une place première. Il joue, comme les autres acteurs. Ni plus, ni moins. »
    <o:p> </o:p>L'idée première de sa venue dans les Ballets C. de la B ; est de sortir du Theater Stap pour évoluer dans son travail artistique et Sidi Larbi Cherkaoui remarque que dans ce contexte, « il commence à s'ouvrir, à trouver d'autres repères. »[p.68]
    <o:p> </o:p>Au niveau du centre de jour, l'équipe observe surtout son émancipation et « la place que prend ce projet dans sa famille : ce n'est pas la famille qui fait découvrir le monde à Marc, c'est Marc qui lance sa famille dans le monde [...] Pour la première fois, la famille voyage en l'accompagnant ponctuellement dans des villes de tournée. » [p.68]
    <o:p> </o:p>L'histoire de Marc Wagemans est cependant une exception.
    Douze années de travail au Theater Stap l'ont formé et lui ont permis d'acquérir une grande expérience scénique, mais sa présence dans une compagnie professionnelle implique un accompagnement individualisé complexe et coûteux.
    Des réflexions sont en cours en Belgique pour valoriser ce type d'initiatives,
    En attendant, Sidi Larbi Cherkaoui estime que les lieux comme le Theater Stap sont nécessaires :
    « Il faut de l'espace pour tout le monde,
    Donc il faut aussi de l'espace pour eux.
    Dans une société idéale, ces lieux ne devraient pas exister [...]
    Mais ce n'est pas comme cela.
    On met les gens semblables ensemble » [p.80]

    </o:p>

     

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